Calanques

Poème Calanques

Le sol ne s’est jamais qu’ouvert

(texte intégral)

CALANQUES
Marseille
Eté 2008
Calanques I

Je marche dans ma faim

Tendue
De tous côtés

Les moments d’y renoncer comme
Repris

Marquer la distance
Jamais vidée

Le proche lointain perdu

Reste une tête peuplée
Comme de pierres

Calanques II

Ecarter la salive
Disperser les parois

L’étreinte dont on se relève
Le corps en soif

Toute la place encore
Frémissante

Qu’est ce qui reste ?

Me le dire
Sans voix
Ce qui reste après la faim

Calanques III

La perte a un bruit
De sol

Deux mains reculées
Sans vis-à-vis

On ne choisit pas l’endroit où l’on s’arrête
À la limite du saut

Le regard sans pied

Tandis que l’ombre revient
Ouverte

Libre d’emporter un cri
Au hasard

Calanques IV

Je ne devrais pas regarder au sol
Fuir mes pas

Peut-on croiser le vent
La vue légère ?

Toute tentative
Me plaque à terre

Les traits
Sans ombre
Remuent doucement la chair

Ce qui reste sans se souvenir

Calanques V

J’ai des yeux sans repos
Le pied pâle

Si peu de main
Accrochée
Sous le soleil

À l’endroit où l’on s’arrête

La chute inscrite dans les pas

La chair tombe
Sans choisir
De crier

Juste pas vue

Les pieds n’ont pas besoin de tant de place

Calanques VI

Le présent rentre sans retour

Marcher
Pour que ça appuie
Dedans

Ne pas penser
Au moment
Où le sol deviendra vent

L’étreinte libre du vent

Ici même au large

Calanques VII

L’habit au soleil

L’étreinte dans la tête

Champ libre avant l’oubli

Sous le soleil le sol est loin

Calanques VIII

Les oiseaux ne volent pas pour la vue

Libre c’est trop
Loin

CALANQUES

Paris

Hiver 2012-2013

Calanques IX

Au soleil
Suspendue

Le temps
De me retourner

Le paysage est sous mes pieds

/

Quelles traces laisse le soleil
Dans le corps ?

Jusqu’où traverse-t-il
Le sol ?

/

Dans quelle partie de mon corps
Le soleil

Prend-t-il sa couleur ?

/

La lumière n’attend pas le sol
Pour tomber

Quand elle n’atteint pas le sol c’est que le vent l’a séparée

Calanques X

Le bruit du vent dedans

/

Accrocher ma chair

Au vol
D’une mouette

/

La chair
Flotte

Sans se détacher

/

Ce que le vent vient bouger en moi ce n’est pas le paysage mais

Ma place
Dedans

Calanques XI

A regarder
Le vent

L’issue trouble du temps

Le sol
Dans le corps
Se penche

/

Mon ombre se déforme

A retenir
Ce qui s’écoule

/

Avancer dans le bruit
Des pas

Ce que le corps place à sa surface
Pour marcher

/

Seules tes mains retiennent
Dans mon corps

L’ombre

Calanques XII

Je tombe entre chacun de mes pas

Sous quel pas
Mon poids ?

/

Accrocher mes yeux
Au paysage

Un autre pied
Pour mon visage
/

Dans ma tête la couleur
Rentre lentement

La forme du ciel

/

Retenir dans mes yeux
Le choc de l’eau

Tandis que mon pied touche le ciel

/

Ce pied

En moi
Relevé

A retourner les ombres

/

Le soleil ou la tête a bougé
L’ombre

Le paysage dedans

Calanques XIII

Sur le chemin les mains
Pensent

Les mains pensent la mer
Avant de la toucher

/

Que devient l’ombre dans l’eau ?

Tandis que l’eau maintient debout ?

/

Je retire mes mains du paysage

La mer en morceaux

Calanques XIV

Premiers bruits de mer

La mer entre
Dans mes pas

/

Jusqu’où la mer dedans
Se retire ?

Ce lieu dans la tête
Du bruit

/

Descendre dans le corps

Jusqu’au bord

Faire de l’eau
Un corps

Agrandi

/

La mer touche ce qui vient
Se creuser

Les pas remontent jusqu’à la tête

/

L’eau déplace dans le corps

Ce qui attend la mer pour se dissoudre

/

Le passage du bruit
Au silence

Dans ce qui s’écoule

/

Mes yeux flottent
Au fond
De l’eau

A la recherche des limites

Calanques XV

Ce qui frappe dans mes pas

Les bruits
Invisibles de ma tête

/

Sur quelle ombre s’appuie
La lumière ?

La profondeur d’un pas ?

/

Le pas ne s’arrête pas
A la surface

Il s’enfonce dans la tête

/

M’en remettre à l’œil
Invisible
Du pied

A cette distance propre

/

Resserrer mes pieds

Jusqu’à ce que le pas se fasse dans ma tête

/

Un autre soleil
Dans le sol
Regarde

Mon pied qui marche

Calanques XVI

Chaque paroi pousse au large

Vient chercher
Dans mes pieds

Le poids de l’ombre

/

Dans la chute
Qu’est-ce qui de l’ombre s’envole ?

Qu’est-ce qui dans les pierres chute ?

/

L’instant se défait

Vide le bruit

L’ombre
Dans le dos

/

Le pied se vide

Incertain
De la terre

/

Pas assez de pierres pour se refaire
Une ombre

Dans ma main
C’est tout le corps
Qui tombe

/

Le corps s’affaisse

Des chutes
De terre

Jusque dans la tête

Calanques XVII

Plus de pied

Le poids
Immobile

Dans un pli de la terre

/

La terre se creuse

Sous les pieds
Qui ne marchent pas

/

Sans chemin
Le regard attend

Sur la terre ouverte

/

Tomber
Pour arrêter la chute

Des pas qui ne se suivraient pas

/

Le corps
Se plie

A l’intérieur

Une façon de s’arrêter
Sans tomber

Calanques XVIII

Qu’est-ce qui rejoint le sol
Dans le corps

Lorsqu’il s’arrête ?

/

Le pied s’est pris
Dans la tête

Le pas perdu

/

Tant qu’ils ne sont pas assez lourds

Les pas se retirent
En moi

/

Ramener la terre
Dans mes pieds

La terre
En suspend

Dedans

/

Penser un pas
De retour

Un pas qui ne dépasse pas
De soi

/

Retourner le silence

Cette tâche d’ombre

Ce qui tourne
Dans le corps

/

La tête refait le chemin
Dans le corps

Un chemin d’avant les pieds

Calanques XIX

Lentement
L’ombre retourne dans le sol

Le pied rentre dans un chemin

/

Ces pas que la terre sort de mes pieds
Tiennent

Dans ma tête

/

Ce qui touche mes pieds retient
Le paysage

De tomber

/

Seul ce chemin vide mon corps
De ses pas

Calanques XX

Je n’ai plus le corps à marcher

Des pieds
Qui se regardent plier

Le regard courbé

/

Où se perdre ?

Quand toute eau est ramenée à la mer

/

Chacun de mes pas a reculé
Le temps

L’invisible
Pied

/

Le chemin s’est vidé jusqu’à toi

Sur ces parois
Mes mains sans ombre

/

Le sol n’est que traces
Ce qui reste oublié à terre

Ce que l’ombre retient au sol

Calanques XXI

L’eau déplace les chemins
Les pas défont les chemins
Le pied suit

Ce que la tête a serré jusqu’à prendre sa forme

/

Ce que les yeux ne voient pas reste
Dans les yeux

Jusqu’à l’endroit de la chute

/

Un lieu sur la terre
Où le corps peut tomber

Un lieu où le corps devient terre

CALANQUES

Paris Eté – Hiver 2014

Calanques XXII

Comment s’arrête cette chute

Quand elle ouvre
Le sol ?

Calanques XXIII

Ce qui s’est partagé
Dans le corps

Jusqu’à ce que les pieds s’enfoncent

/

Ce que le corps a rapproché
De terre

Jusqu’à prendre sa forme

/

Ce qui a pris pied
Dans la terre

Ce qui a traversé sa propre trace

/

Prendre le temps de tomber

Un temps pour bouger
La terre
Dedans

/

Se relever à l’intérieur de sa trace

Mettre la terre debout
Le geste dedans

/

Ce que le sol traverse dans le corps

Cette masse d’ombre

/

Ce que la terre digère jusque dans la pensée

/

Ce qui se resserre dans la terre se resserre en moi

/

Tout autour
Ce qui s’élève
C’est une autre terre

Le sol ne s’est jamais qu’ouvert

Cette bouche qui souvre juste avant loubli
(Le poème qui suit le poème Calanques dans le livre)

Tombée du sol
Je ne me borde plus

De la terre plein la peau

/

Ce qui ne remplit plus déborde

Le paysage s’en va de mes bras
La terre lourde

/

Extraire mes organes de terre

De cette terre
Où ils étaient entrés s’incarner

Mais ils restent à l’état de terre

/

Ce qui fait se retourner le sol

Ce qui n’accroche plus les yeux

/

Ce que la terre ne remplit plus
Dans la distance

Ce qui tombe à chacun de mes pas
Sans te rejoindre

/

Les chemins ronds
Dans la tête

Tous ces chemins sans bout

/

Ce qui reste sans corps
Dans la tête

/

Des yeux
Pour ne pas voir

A chercher dedans

Ce qui attache la pensée

/

Ces distances ne tiennent pas dans le regard

Loin est silencieux

Le pied s’ouvre en touchant terre

/

Cette terre ne fait plus surface

Les traces sur le sol
Renversées

/

Une distance défigurée

Un lieu où je me défais

/

La tête se vide dans ce partage

Sur la tête
Le visage

Sur le point de tomber

/

Le corps
Ecarté dedans

S’écarte du sol

/

Ce que le sol cherche à faire trembler c’est
Un reste de ta peau

/

Ce que ta peau a tracé dans ma tête

Ce que la terre a tassé dans ma bouche
Avant de la vider

/

Ce que j’ai serré au-delà de la perte

Ce qui s’arrête au bord de la pensée
Comme vidé

/

Les mains vidées de ne pas te retrouver

Les mains dont l’épaisseur est une trouée

/

Ce que la peau a serré à s’en faire des trous

Ce qui retient ma peau dans cette trace

/

Ce qui tombe dans la tête

Ce que ma peau vient toucher
En tombant

/

Ce que la tête mettra du temps à ramasser
La peau alourdie

La peau juste avant de retomber

/

La peau
Sans mains

Sur ce qui n’a plus de trace

/

Ne pas me retourner

Ce qui s’arrête derrière la tête va s’évaporer

Une pierre qui tombe vient de s’évaporer

/

Ta bouche sans ma bouche va s’évaporer

/

Autre chose que le bruit de mes pas s’est éloigné

/

Ce que l’horizon touche dans le regard fait éclater la bouche

Rester sans visage au milieu de la tête

La peau partagée

/

Attendre que ce qui marche sur le sol ait fini de tomber

Que le sol ramasse tout ce qui tombe du corps
Ce qui s’ouvre en tombant des mains

/

Rassembler dans mes mains ce qui tient
Le sol

Avant qu’elles ne se referment

Si cette peau peut encore retenir les traces

/

Que les traces se glissent dans la pensée
Jusqu’à s’ouvrir une autre bouche

Cette bouche qui s’ouvre juste avant l’oubli

/

Enfoncer ma face dans cette trace pour reprendre visage

Que la terre porte un visage dans lequel
Reprendre
La marche